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LIVRE DEUXIÈME.

certainement de saint Paul et des Pères, mais aussi du grand Arnauld, qui le premier en rouvrit le canal dans le siècle, et en remit en circulation les maximes.

Mais il arriva alors ce qui se voit le plus souvent : tout en gagnant par le fond, Arnauld ne triompha point également par l’apparence ; ses maximes, ses prescriptions prévalurent, mais l’idée qu’il les avait lui-même poussées à outrance, demeura.[1]

  1. Le succès non plus seulement littéraire ou théorique et doctrinal, mais positif et pratique, du livre de la Fréquente Communion, est attesté par un témoin considérable, par saint Vincent de Paul, qui le prenait, il est vrai, en mauvaise part et qui le déplorait. Dans une lettre adressée à l’un des prêtres de la Mission, à l’abbé d’Orgni (ou d’Horgni), M. Vincent, supérieur général, disait (25 juin 1648) : « Il est vrai, Monsieur, qu’il n’y a que trop de gens qui abusent de ce divin Sacrement, et moi, misérable, plus que tous les hommes du monde, et je vous prie de m’aider à en demander pardon à Dieu ; mais la lecture de ce livre, au lieu d’affectionner les hommes à la fréquente Communion, elle en retire plutôt. L’on ne voit plus cette hantise des Sacrements qu’on voyoit autrefois, non pas même à Pâques. Plusieurs curés se plaignent de ce qu’ils ont beaucoup moins de communiants que les années passées : Saint-Sulpice en a trois mille de moins ; M. le curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, ayant visité les familles après Pâques, en personne et par d’autres, nous dit dernièrement qu’il a trouvé quinze cents de ses paroissiens qui n’ont point communié ; et ainsi des autres. L’on ne voit quasi personne qui s’en approche les premiers dimanches des mois et les bonnes fêtes, ou très peu, et guère plus aux religions (maisons religieuses), si ce n’est encore un peu aux Jésuites. » Dans une autre lettre en date du 10 septembre de la même année, il s’exprimait ainsi : « Je vous dirai, Monsieur, qu’il peut être ce que vous dites, que quelques personnes ont pu profiter de ce livre en France et en Italie ; mais que d’une centaine qu’il y en a peut-être qui en ont profité à Paris, en les rendant plus respectueux en l’usage des Sacrements, il y en a pour le moins dix mille à qui il a nui en les en retirant tout à fait. Et il ne craint pas d’accuser le nouveau réformateur du dessein de ruiner la Messe et la Communion. Le fait est qu’il dut y avoir alors et depuis des gens du monde qui ne se piquèrent d’être Jansénistes qu’en un point : la sobriété ou l’abstinence des Sacrements. – Il convient aussi, pour peu que l’on s’intéresse au fond des questions,