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PORT-ROYAL.

outre ces réponses, des conversations où la Mère s’explique au sujet de cette reine ; l’expression peut sembler dure quelquefois. Par exemple, la reine de Pologne avait répondu d’une manière charmante à des amis qui lui conseillaient de modérer ses libéralités et ses aumônes, et de mettre quelque chose en réserve pour l’avenir : « Non, je ne veux rien amasser, car, quelque peu que j’aie de bien, si je devenois veuve, j’en aurois toujours assez pour être reçue par la mère Angélique à Port-Royal des Champs. »[1] Et comme M. Le Maître commentait avec une sorte de joie et d’orgueil cette parole devant sa tante, celle-ci répliqua : «Je ne sais si nous devons désirer qu’elle soit religieuse céans ; car, à moins qu’une Reine soit toute sainte, il est difficile qu’elle ne cause de l’affolblissement et du relâchement dans une maison religieuse. Leur délicatesse est extrême, et de plus je ne vois pas grand lieu d’espérer ce miracle en elle ; car les Rois et les Reines sont des néants devant Dieu, et la vanité de la condition attire plutôt son aversion sur eux que son amour. Ils naissent doublement enfants de sa colère, n’y ayant presque aucune princesse en qui l’esprit et la grâce de

    (de Pologne) pendant que notre Mère étoit à Port-Royal des Champs) ; je crains que nous ne puissions faire notre coup si aisément à présent, parce qu’elle écrit tard. Il y a plusieurs surveillantes établies pour cela. » (Lettre de la mère Agnès à la sœur Dorothée de l’Incarnation Le Conte, du 1er août 1653.)

  1. Elle avait fait, non au monastère des Champs, mais à celui de Paris, depuis qu’elle était reine, un temps de retraite assez notable. On lit dans les Mémoires de Marolles, ce fidèle historiographe et caudataire de la princesse tant qu’elle fut en France : « Au bout de quelques jours (après la cérémonie de son mariage), afin de se reposer un peu de toutes ses grandeurs et vaquer à sa piété ordinaire, elle se retira au monastère du Port-Royal, où elle acheva de faire sa maison et de donner ordre pour l’équipage de son voyage, à quoi elle avoit déjà travaillé. »