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PORT-ROYAL.

innocence, c’étoit le meilleur de tous ceux qui habitoient dans ce désert. Mais Dieu nous consoloit en même temps qu’il nous affligeoit, en prenant pour lui ce que nous avions de meilleur, et recevant de nos mains les premiers fruits de ce désert. C’étoit un excellent innocent en un lieu où il y avoit d’excellents pénitents. »

Se peut-il peinture plus naturelle, plus particulière, et qui laisse mieux distincts et plus charmants en nous les simples traits de cette figure, — de cette douce figure d’agneau du jeune Lindo, en regard, par exemple, de ce vieux lion de La Petitière ? Si Port-Royal a eu dans Champagne son peintre régulier et sévère, il a par moments dans Fontaine son Fra Bartolommeo.

Ces solitaires qui se multiplient désormais, et que bientôt on ne comptera plus, mais qui pourtant, à cette date de septembre 1646, ne passaient guère encore une douzaine, commençaient de loin à paraître formidables et à se grossir dans les calomnies des uns en même temps que dans les admirations des autres. On dénonçait, dès 1644, Port-Royal des Champs comme un lieu d’assemblées dangereuses et un foyer d’écrits conjurés : « Il y avoit là, écrivait-on, quarante étudiants et quarante belles plumes, lesquelles n’étoient taillées que de la main d’un même maître. » Le sobriquet d’Arnauldistes circulait. Cette rumeur sur nos Messieurs était déjà telle plus de dix ans avant les Provinciales. M. Le Maître se vit plus d’une fois obligé de rappeler dans de courts mémoires imprimés l’origine et le nombre des pénitents, pour réduire à leur juste valeur ces faux bruits qui ne venaient pas tous de la malveillance, bien que la malveillance s’en autorisât. La mère Angélique écrivait à la reine de Pologne : « On fait des médisances horribles à la Reine, qui croit tout. »

Enfin M. d’Andilly, ayant réglé ses affaires et pris congé de la reine elle-même et de la Cour, s’était venu