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PORT-ROYAL

veilleuse ; à la fin d’une de ces journées de fatigue, elle s’écriait : « Dieu nous a fait aujourd’hui la grâce de faire ce qu’il ordonne dans son Écriture, de réjouir les entrailles des pauvres. » Et dans les rangs de ces pauvres qui se lamentaient, elle allait recommandant à chacun la patience, et d’offrir le tout à Dieu, qui considère le travail et la douleur.[1]

  1. Ses lettres de cette époque ne respirent que feu de charité ; je recommande celle du 27 janvier (1649). En voici une adressée à une sœur, d’avril de la même année, et qui résume la situation trop au vrai pour que j’en fasse grâce :
    «Nous ferons, ma très-chère Sœur, ce que nous pourrons pour louer un cheval qui vous portera le reste des habits… ; car nos chevaux et nos ânes sont morts. C’est grande pitié de toutes nos misères : la guerre est un horrible fléau. C’est merveille que toutes les bêtes et les gens ne sont pas morts d’avoir été si longtemps enfermés les uns avec les autres. Nous avions les chevaux sous notre chambre et vis-à-vis, dans le Chapitre ; et dans une cave il y avoit quelque quarante vaches à nous et aux pauvres gens.»
    «La cour étoit toute pleine de poules, de dindons, cannes et oies, dehors et dedans ; et, quand on ne les vouloit pas recevoir, ils disoient : Prenez-les pour vous si vous les voulez ; nous aimons mieux que vous les ayez que les gens d’armes. — Notre église étoit si pleine de blé, d’avoine, de pois, de fèves, de chaudrons et de toutes sortes de haillons, qu’il falloit marcher dessus pour entrer au chœur, lequel étoit au bas rempli des livres de nos Messieurs. De plus, il y avoit dix ou douze filles qui se sont sauvées chez nous ; toutes les servantes des Granges étoient au dedans, et les valets au dehors : les granges étoient pleines d’estropiés, le pressoir et les lieux bas de la basse-cour étoient pleins de bêtes. Enfin, sans le grand froid, je pense que nous eussions eu la peste. D’ailleurs le froid nous incommodoit ; car, notre bois ayant manqué, on n’en osoit aller quérir dans les bois.»
    «Avec cela Dieu nous a tellement assistées que nous n’en étions point en un sens plus tristes ; et la misère extrême des pauvres, qui logeoient dans les bois pour n’être pas assommés, nous faisoient voir que Dieu nous faisoit trop de bien. Tout est devenu hors de prix ici, tout y ayant été ravagé, Enfin c’est une pitié terrible que de voir tout ce pauvre pays. Je ne pensois pas à vous dire tout cela ; mais, comme j’en suis toute remplie de pitié et de souci, je le dis insensiblement.»

    Assez d’autres écrits nous égaient sur le piquant de la Fronde ; la mère Angélique en fait toucher l’odieux. C’est la vue de toutes ces misères publiques, nées du caprice et de la violence de quelques-uns, qui la rendaient si sévère, on le conçoit, pour les Grands. Durant cette première guerre et la seconde, elle ne fait que répéter et commenter, dans ses lettres à la reine de Pologne, ce mot de l’Écriture : Les Grands et les Puissants seront tourmentés puissamment. — On a fait, depuis, un livre intitulé : La Misère pendant