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PORT-ROYAL

propos, croyant que, puisque c’étoit assez d’un clerc, il auroit été contre l’ordre d’en faire entrer deux et que ce seroit trop donner à la nature. Ainsi il n’y eut que M. de Saci qui entra pour assister M. Singlin. Mais M. Arnauld le pria au moins de savoir de Madame sa mère ce qu’elle lui vouloit dire pour dernière parole, afin qu’il le considérât toute sa vie comme un dernier testament et comme exprimant l’ordre de Dieu sur lui. » M. Singlin revint en apportant cette réponse : « Je vous prie de dire à mon dernier fils que. Dieu l’ayant engagé dans la défense de la Vérité, je l’exhorte et le conjure de sa part de ne s’en relâcher jamais, et de la soutenir sans aucune crainte, quand il iroit de la perte de mille vies ; et que je prie Dieu qu’il le maintienne dans l’humilité, afin qu’il ne s’élève point par la connoissance de la Vérité, qui ne lui appartient pas, mais à Dieu seul. » Et quinze jours après, comme elle s’affaiblissait de plus en plus, M. Singlin lui demandant si elle n’avait rien à dire à son fils le futur docteur, elle répondit qu’elle n’avait rien autre chose à lui recommander que ce qu’elle avait dit déjà, à savoir qu’il ne se relâchât jamais dans la défense de la Vérité. Ainsi, toute cette guerre infatigable que M. Arnauld va poursuivre jusqu’à l’âge de plus de quatre-vingts ans, cette guerre d’Annibal et de Mithridate chrétien qu’il entretiendra et ranimera à travers tous les exils,

Errant, pauvre, banni, proscrit, persécuté,[1]

on la voit bénie au point de départ, et dans ses premières armes, par une mère mourante, par M. de Saint-Cyran captif.

Sa mère lui dit presque comme celles de Sparte, en

  1. Boileau, Épitaphe du grand Arnauld.