Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
348
PORT-ROYAL

et d’être ainsi sevré de M. de Saci ; il s’affaiblissait tous les jours et, à la lettre, s’en allait mourir. En vain un digne homme, un être de bonté comme il s’en rencontre souvent dans les prisons, le major Barail,[1] essayait-il de le relever en lui parlant de liberté : « Ma liberté, s’écriait Fontaine, c’est d’être avec M. de Saci. Qu’on m’ouvre la porte de sa chambre et en même temps cette autre (il montrait celle de la Bastille), et l’on verra à laquelle des deux je courrai. Sans lui tout me sera une prison ; je serai libre où je le verrai. »

Enfin, cette réunion tant désirée eut lieu. On mit Fontaine près de M. de Saci, qui avait déjà, pour le servir, son fidèle domestique Hérissant ; et dès lors, sous les verrous, dans la prière, dans l’étude, dans un entretien sobre, ils se trouvèrent les plus consolés des hommes.

M. de Saci, dès qu’il s’était vu à lui seul et à Dieu, avait conçu de grands desseins. La traduction du Nouveau-Testament, entreprise en commun dès le temps des conférences de Vaumurier (1657), et à laquelle il avait eu la plus grande part, était achevée avant son emprisonnement. Il ne restait plus que la Préface à examiner, et il avait même pris jour pour cette révision avec MM. Arnauld et Nicole à l’hôtel de Longueville : j’ai dit qu’on trouva le manuscrit sur lui quand on l’arrêta. Durant ses années de Bastille, il se mit à traduire l’Ancien-Testament, s’estimant heureux de cette facilité d’étude et de ce parfait repos qui lui était procuré : « Les barrières qu’on a posées aux avenues de ma chambre, disait-il, sont pour empêcher de venir à moi le monde qui me dissiperoit, plutôt que pour m’empêcher de l’aller voir, moi qui ne le cherche point. » Il se regardait dans ces tours de la Bastille comme dans une haute tour

  1. Il me fait penser à ce bon Maison-Rouge de mademoiselle De Launay.