Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/363

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
353
LIVRE DEUXIÈME.

sentons tant de joie dans ces entretiens innocents, que nous nous imaginons revoir le monde de nos yeux et leur parler à eux-mêmes. Ainsi, peu à peu, le temps de notre prison se remplit, et celui de notre vie se vide ; et nous sommes assurés que, si la compassion des hommes ne nous délivre de ce lieu, la mort au moins nous en tirera.»[1]

Cependant les amis de M. de Saci se remuaient pour lui. M. de Pontchâteau, usant d’un reste de grand seigneur dans le chrétien, et de sa qualité de citoyen romain (car il l’était), écrivit avec vigueur à l’archevêque M. de Péréfixe, et lui représenta combien il se faisait tort en privant ainsi de la liberté et des sacrements un vertueux prêtre. La pacification de l’Église se préparait. Madame de Longueville, mademoiselle de Vertus, l’archevêque de Sens (M. de Gondrin), M. de Pomponne et sa très-digne épouse,[2] agissaient de concert pour le prisonnier, qui n’en concevait pas de plus vives espérances dans sa tranquillité imperturbable, attendant que le moment de Dieu fût venu. Le bon Fontaine n’était pas à beaucoup près aussi héroïque ; dès qu’il vit jour à la délivrance, il se mit tout grossièrement à la

  1. Voir Vies intéressantes et édifiantes… tome IV, p. 251 et 223. — Je laisse les anecdotes sur Fouquet, Lauzun et Bussi-Rabutin, trois prédécesseurs bien peu jansénistes, dont M. de Saci occupait la chambre ; je laisse aussi des historiettes sur Pellisson et le comte de Lorges : car il y avait, malgré tout, la chronique de la prison, qui faisait quelque enjouement par contraste dans ce fond d’unique pensée. — Ceci toutefois encore : un jour le gouverneur, qui était de sa plus belle humeur apparemment, venant voir M. de Saci et le trouvant si tranquille, l’engageait à agir auprès de ses amis : « Dieu ne dit-il pas dans son Évangile : Aide-toi et je t’aiderai ? » M. de Saci et Fontaine se regardèrent en souriant, à la citation de ce nouvel Évangile. Et nous-même nous sourions de leur étonnement et avons quelque peine à nous en rendre compte, tant notre christianisme s’est humanisé depuis et s’est comme traduit à la Franklin. Cette devise Aide-toi et le Ciel t’aidera, que nous inscrivons sur nos drapeaux, est pourtant le contraire, en effet, du précepte qui dit à l’homme de ne pas trouver sa volonté.
  2. Mademoiselle Ladvocat (voir les Mémoires de l’abbé Arnauld).