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LIVRE TROISIÈME.

Il faut bien, puisque je ne puis renvoyer simplement au Pascal qui est dans toutes les mains, que je replace ici la position des interlocuteurs et que je rétablisse du moins le jeu du dialogue. M. Pascal ayant dit à M. de Saci qu’en fait de philosophes ses deux lectures les plus ordinaires avaient été Épictète et Montaigne, M. de Saci, qui avait toujours cru devoir peu lire ces auteurs, pria le nouveau venu de lui en parler à fond.

Et remarquons d’abord cette extrême abstinence dans les lectures. Port-Royal en son premier esprit la poussa très-loin. M. de Saint-Cyran avait réfuté Garasse sur Charron ; mais il n’avait lu Charron qu’à cette occasion et ne paraît pas s’être informé, au préalable, de Montaigne, qui est pourtant la vraie clef pour pénétrer le théologal. Aussi fait-il l’entière apologie de celui-ci contre les inductions de Garasse. Nous avons assisté à la première invasion de Descartes en 1652 moyennant Arnauld et le duc de Luines. Ce fut Pascal qui, le premier à Port-Royal, introduisit la connaissance de Montaigne. Quant à Nicole, c’est un curieux ; il lira toute espèce d’auteurs et sera informé de tout.

Pascal, à la date de ce dialogue, avait trente et un ans environ, et M. de Saci quarante et un. J’ai dit que Pascal avait beaucoup lu, mais c’était au hasard. Savant en géométrie, inventeur en physique, il n’avait guère en littérature que des notions décousues et de rencontre. Mais ce qu’il avait lu, il l’avait bien lu ; sa réflexion avait suppléé aux lacunes et avait formé l’enchaînement.

Il est piquant et singulier de voir aux prises et bientôt d’accord ces deux hommes qui sont à cheval chacun presque sur un seul livre, l’un sur Montaigne doublé d’Épictète, et l’autre sur son saint Augustin. Quand l’un

    savoir d’où sortait ce document. L’abbé d’Étemare s’empressa de la rassurer, et lui en indiqua la source dans les Mémoires encore inédits de Fontaine, qui ne parurent en effet que quelques années après.