même la condition essentielle et unique, sans laquelle tout le reste eût été comme non avenu, l’instrument de son charme et sa vraie baguette d’enchantement, c’est son style. Le style, quand on l’a au degré de Montaigne, devient la boîte d’indulgence plénière auprès de la postérité. Il est beaucoup pardonné chez les neveux à ceux qui ont véritablement peint. Les irrégularités de plan, d’idées, les licences et les familiarités, les petitesses, tout se colore, tout s’embellit d’une spécieuse nuance, et devient matière à plaisir, à louange toujours nouvelle. Le style, c’est un sceptre d’or à qui reste, en définitive, le royaume de ce monde.
Montaigne a eu, plus qu’aucun peut-être, ce don d’exprimer et de peindre ; son style est une figure perpétuelle, et à chaque pas renouvelée ; on n’y reçoit les idées qu’en images ; et on les a, à chaque moment, sous des images différentes, faciles et transparentes pourtant. À peine un court intervalle nu et abstrait, la simple largeur d’un fossé, le temps de sauter ; et
Je crois saisir dans l’air ses accents ranimés.
Aux lèvres des vieillards je cherche son sourire,
Sa railleuse vertu, sa facile pitié,
Ces préceptes du cœur que son cœur sut écrire,
Et son amour pour l’amitié.
Que ce livre est beau ! que je l’aime !
Le monde y paraît devant moi :
L’indigent, l’esclave, le roi,
J’y vois tout ; je m’y vois moi-même.
Bords heureux, de sa cendre il vous légua l’honneur ;
Tout ce qu’il cultiva nous instruit, nous attire,
Et les fruits que l’on en retire
Ont un goût de sagesse, un parfum de bonheur.
Il est doux, en passant un moment sur la terre,
D’effleurer les sentiers où le sage est venu ;
D’entretenir tout bas son malheur solitaire
Des discours d’un ami qu’on pense avoir connu…
Nous suivons un peu sa méthode malgré nous, en ne craignant pas d’enregistrer cette contradiction ouverte entre notre conclusion et notre affection.