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PORT-ROYAL.

ses, de plus enviables au moi ? Mais qu’y fait-on ? À part mademoiselle de Gournay qui y pleure tout haut par cérémonie, on y cause ; on y cause du défunt et de ses qualités aimables, et de sa philosophie tant de fois en jeu dans la vie, on y cause de soi. On récapitule les points communs : « Il a toujours pensé comme moi des matrones inconsolables, » se dit La Fontaine. — « Et comme moi, des médecins assassins, » s’entredisent à la fois Le Sage et Molière. — Ainsi un chacun. Personne n’oublie sa dette ; chaque pensée rend son écho. Et ce moi humain du défunt qui jouirait tant s’il entendait, où est-il ? car c’est là toute la question. Est-il et s’il est, tout n’est-il pas changé à l’instant ? tout ne devient-il pas immense ? Quelle comédie jouent donc tous ces gens, qui la plupart, et à travers leur qualité d'illustres, passaient pourtant pour raisonnables ? Qui mènent-ils, et où le mènent-ils ? où est la bénédiction ? où est la prière ? Je le crains, Pascal seul, s’il est du cortège, a prié.

Mais M. de Saci, comment meurt-il ? Vous le savez ; nous avons suivi son cercueil de Pomponne à Paris, de Saint-Jacques-du-Haut-Pas à Port-Royal des Champs, par les neiges et les glaces. Nous avons ouvert le cercueil avec Fontaine, nous avons revu son visage non altéré ; une centaine de religieuses, plus brillantes de charité que les cierges qu’elles portaient dans leurs mains, l’ont regardé, ce visage d’un père, à travers leurs pleurs ; les principales, en le descendant à la fosse, lui ont donné de saints baisers, et toutes ont chanté jusqu’au bout la prière qui crie grâce pour les plus irrépréhensibles. Et puis, les jours suivants, dans le mois, dans l’année, les voilà qui se mettent à mourir, et les Messieurs aussi ; ils meurent coup sur coup, frappés au cœur de cette mort de M. de Saci, joyeux de le suivre, certains de le rejoindre, certains moyennant