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PORT-ROYAL.

et curieux en physique, en mathématiques, le Père Mersenne, Roberval, Carcavi, Le Pailleur ; et les réunions qui avaient lieu tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, devinrent même le premier noyau de ce qui fut l’Académie des Sciences, comme les réunions de chez Conrart devinrent l’Académie française.

Il n’était pas besoin de tant de circonstances excitantes pour donner l’éveil au génie philosophique et scientifique du jeune Blaise : dès son plus bas âge, il avait dénoté un esprit extraordinaire, moins encore par les reparties heureuses qui frappent dans les enfants, que par ses questions singulières sur la nature des choses : rerum cognoscere causas. Son père, qui l’aimait tendrement comme son fils unique, ne voulut jamais qu’il eût d’autre maître que lui : « Sa principale maxime dans cette éducation, nous dit madame Périer, étoit de tenir toujours cet enfant au-dessus de son ouvrage, et ce fut par cette raison qu’il ne voulut point commencer à lui apprendre le latin qu’il n’eût douze ans. En attendant, «il lui avoit fait voir en général ce que c’étoit que les langues ; il lui montroit comme on les avoit réduites en grammaires sous de certaines règles[1]… Cette idée générale lui débrouilloit l’esprit et lui faisoit voir la raison des règles de la grammaire, de sorte que, quand il vint à l’apprendre, il savoit pourquoi il le faisoit, et il s’appliquoit précisément aux choses à quoi il falloit le plus d’application.» Ainsi, avant d’en venir aux mots, le jeune Pascal en fut aux raisons, et je ne m’étonnerais pas que, dès ce temps, il eût conçu cette pensée, qu’il a exprimée ainsi : « Les langues (les unes à l’égard des autres) sont des chiffres

  1. Ce digne père de Pascal, l’un des contemporains les plus éclairés de Descartes, anticipait déjà, par rapport à son fils, les méthodes de Port-Royal.