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PORT-ROYAL.

joie. Dès lors je conçus des espérances que je n’avois jamais eues, et je crus vous en devoir mander quelque chose, afin de vous obliger à prier Dieu. Si je racontois toutes les autres visites aussi en particulier, il faudroit faire un volume ; car, depuis ce temps, elles furent si fréquentes et si longues que je pensois n’avoir plus d’autre ouvrage à faire. Je ne faisais que le suivre sans user d’aucune sorte de persécution, et je le voyais peu à peu croître de telle sorte que je ne le connoissois plus (je crois que vous en ferez autant que moi si Dieu continue son ouvrage), particulièrement en humilité, en soumission, en défiance, en mépris de soi-même, et en désir d’être anéanti dans l’estime et la mémoire des hommes. Voilà ce qu’il est à cette heure ; il n’y a que Dieu qui sache ce qu’il sera un jour.
« Enfin, après bien des visites, et des combats qu’il eut à soutenir en lui-même sur la difficulté de choisir un guide, il se détermina. Il ne doutoit point qu’il ne lui en fallût un ; et quoique celui qu’il lui falloit fût tout trouvé (M. Singlin et qu’il ne pût penser à d’autres, néanmoins la défiance qu’il avoit de lui-même faisoit qu’il craignoit de se tromper par trop d’affection, non pas dans les qualités de la personne, mais sur la vocation dont il ne voyoit pas de marques certaines, celui-là n’étant pas son pasteur naturel. Je vis clairement que ce n’étoit qu’un reste d’indépendance caché dans le fond du cœur, qui faisoit armes de tout pour éviter un assujettissement… Je ne voulus pas néanmoins faire aucune avance en cela ; je me contentai seulement de lui dire que je croyois qu’il falloit faire pour le médecin de l’âme comme pour celui du corps, choisir le meilleur… Je ne me souviens plus si ce fut ce que je lui dis qui le fit rendre, ou si ce fut la Grâce qui croissoit en lui comme à vue d’œil… ; mais, quoi qu’il en soit, il fut bientôt résolu. Après cela néanmoins tout ne fut pas fait ; car il fallut bien d’autres choses pour faire résoudre M. Singlin, qui a une merveilleuse appréhension de s’engager en de pareilles affaires : mais enfin il n’a pu résister à de bonnes raisons qu’il a eues de ne pas laisser périr des mouvements si sincères, et qui donnoient tant d’espérances… »

Ici se place le projet de Pascal d’aller à Port-Royal des Champs, tandis que M. Singlin s’y trouve, mais d’y