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LIVRE DEUXIÈME.

sont pleines d’ailleurs d’emportements, de fatras ou d’à peu-près. Notons ceci : les critiques contemporains, fussent-ils fins et habiles, se donnent bien de la peine pour envelopper et développer, en fait de jugements littéraires, ce que le premier venu, dans la postérité, conclura en deux mots. Sorel, qui a tenu registre de ces querelles, nous dit des adversaires de Balzac : « La plupart de ces gens-ci, se trouvant comme forcenés pour la passion qu’ils avoient à médire de M. de Balzac, ressembloient à des malades de fièvre chaude qui, dans leur rêverie, ne se représentoient que chimères et spectacles affreux. Les beautés du style de notre auteur ne se montroient point à eux ; ils n’en considéroient que ce qu’il y avoit d’irrégulier. En tout ce qu’ils lisoient de ses écrits, ils ne croyoient voir que des Métaphores impropres, des Hyperboles exorbitantes, des Cacozèles ou des Catachrèses et autres figures épouvantables du nom desquelles ils remplissoient leurs écrits, et que les hommes non lettrés prenoient pour des monstres de l’Afrique. » Il y avait du vrai pourtant sous ces grands reproches pédantesques. Balzac, bien averti de son défaut, commence ainsi une de ses lettres à Chapelain : « J’ai renoncé solennellement à l’Hyperbole. C’est un écueil que je ne regarde qu’en tremblant et que je crains plus que Scylle et Charybde » On voit qu’il en est pour lui de son défaut chéri, précisément comme dans la chanson :

L’image adorée et jolie

Toujours revient ;
En pensant qu’il faut qu’on l’oublie,
On s’en souvient.

L’hyperbole le mena un jour jusqu’à dire à mademoiselle de Gournay en manière de compliment : « Depuis le temps qu’on vous loue, la Chrétienté a changé dix fois de face. » Un tel trait de galanterie renferme tout. C’est