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PORT-ROYAL

Dans le discours Xe du Socrate se trouve un portrait de Malherbe souvent cité et qui semble une caricature : « Vous vous souvenez du vieux pédagogue de la Cour… » Cela d’abord étonne sous la plume de Balzac et a pu être taxé d’irrévérence. En y regardant de près, rien de bien grave. C’est un portrait tout de situation, et qui ne tire pas à conséquence hors de là. Balzac, se faisant parfait chrétien et ennemi (pour un moment) de la rhétorique et de la grammaire, pousse sa pointe en ce sens par la bouche du Socrate, absolument comme un avocat qui décrie tout d’un coup sa partie adverse dont il faisait grand cas jusqu’alors. Ailleurs, il parle de Malherbe tout autrement. Dans une lettre qu’il lui écrivait autrefois, pour se mettre au ton du vieux poète, qui était, comme on sait, un vert galant, Balzac avait même hasardé la gaillardise.[1]

Pas plus qu’il n’est un chrétien profond dans son Socrate, Balzac n’est un politique passable dans son Prince et dans son Aristippe. Gabriel Naudé, à le voir ainsi trancher du petit Machiavel, devait penser de lui, en matière d’État, ce qu’en pensait déjà chrétiennement Saint-Cyran, ce qu’en pensait Retz, le Chrysostome, dans sa malice.

Assez de critique des ouvrages ; venons au résultat. Malgré tout, Balzac a joué un grand rôle et a gardé un rang éminent dans notre prose : il en a été le Malherbe. Cette louange, qui lui avait été décernée de son temps, a été renouvelée et confirmée depuis à diverses reprises : loin de nous l’idée de la lui contester ! Il a régularisé la langue et, autant que cela se peut, certaines formes du beau qui ont prévalu. « Ç’a été, dit Bayle, qui ne badine point avec lui, ç’a été la plus belle plume de France, et on ne sauroit assez admirer, vu l’état où il trouva la

  1. Lettre 19e du Livre IV.