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LIVRE DEUXIÈME.

Au sortir de cet examen et pour le clore du côté de Port-Royal, c’est le cas de replacer, en quelques points, l’opinion de M. de Saint-Cyran, qui en devient piquante, sur les ouvrages de l’esprit, sur l’étude et sur le style.

Ce qu’on en sait déjà et ce que nous allons en citer va plus loin que Balzac, et atteint les Poétiques même d’Horace et de Boileau. La solitude du cabinet si chère aux poètes, aux rêveurs et aux écrivains, n’était pas la sienne : « Il savoit, nous dit Lancelot,[1] qu’il y a dans l’âme de l’homme une certaine niaiserie qui l’ensorcelle, fascinatio nugacitatis comme dit l’Écriture (ce qu’Horace appelle desipere in loco), qui fait que, quelque séparé qu’il soit, il s’occupe de lui-même, se multiplie et se divise, et que souvent il est moins seul que s’il

    « tient qu’au lecteur de s’y arrêter, quoique l’auteur aille au delà. »

    — « Balzac ne sait pas rire, mais il est beau quand il est sérieux. »

    — « Les beaux mots ont une forme, un son, une couleur et une transparence, qui en font le lieu convenable où il faut placer les belles pensées pour les rendre visibles aux hommes. Ainsi leur existence est un grand bien, et leur multitude un trésor. Or Balzac en est plein : lisez donc Balzac. »

    — « Ce qui a manqué à Balzac, c’est de savoir mêler les petits mots avec les grands. Tout dans son style est construit en blocs ; mais tout y est de marbre, et d’un marbre lié, poli, éclatant. »

    — « L’emphase de Balzac n’est qu’un jeu, car il n’en est jamais la dupe.

    « Ceux qui le censurent avec amertume et gravité sont des gens qui n’entendent pas la plaisanterie sérieuse, et qui ne savent pas distinguer l’hyperbole de l’exagération, l’emphase de l’enflure, et la rhétorique d’un homme de la sincérité de son personnage. »

    Mais n’est-il pas possible aussi qu’avec son esprit bienveillant et subtil, M. Joubert ait porté quelque atticisme en Béotie ? — Avec les années, et en le relisant, je suis devenu plus complet sur le chapitre de Balzac, ce qui revient à dire que j’ai été plus juste envers lui : j’ai dû l’étudier derechef pour mon Cours de l’École normale en 1858 ; j’ai dû le considérer d’un nouveau point de vue. On peut voir ce complément ou ce correctif de jugement à l’Appendice.

  1. Mémoires, tome II, page 106.