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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

ciel du Midi, dans des lieux aimés, dans une médiocrité ou une pauvreté rurale qui est encore de l’abondance, avec tous les choix et toutes les élégances d’un intérieur de vierge : l’autre, dans la poussière et la boue des cités, sur les grands chemins, toujours en quête du gîte, montant des cinq étages, se heurtant à tous les angles, le cœur en lambeaux et s’écriant par comparaison : « Où sont les paisibles tristesses de la province ? » Et qui a connu Mme  Valmore en ces longues années d’épreuves, qui l’a visitée dans ces humbles et étroits logements où elle avait tant de peine à rassembler ses débris, qui l’y a vue polie, aisée, accueillante, hospitalière même, donnant à tout un air de propreté et d’art, cachant ses pleurs sous une grâce naturelle et y mêlant des éclairs de gaîté, brave et vaillante nature entre les plus délicates et les plus sensitives, qui l’a vue ainsi et qui lira ce qui précède se prendra encore plus à l’admirer. Puis, quand envient à songer quel mal infini eut de tout temps à se soutenir et à subsister cette famille d’élite et d’honneur, ce groupe rare d’êtres distingués et charmants, comptant des amitiés et, ce semble, des protections sans nombre, chéris, estimés et admirés de tous, on se demande ce que c’est que notre civilisation si vantée ; on rougit pour elle.

Mme  Valmore est morte, je l’ai dit, dans la nuit du 22 au 23 juillet 1859. Elle habitait en dernier lieu, rue de Rivoli, au coin de la rue Étienne. Elle venait d’avoir soixante-treize ans.

Le 4 août suivant, la ville de Douai accomplissait un devoir, douloureux envers son cher poëte, et la population douaisienne remplissait l’église Notre-Dame, toute voisine de la maison de naissance de la défunte, pour assister à la messe solennelle qui était célébrée en sa mémoire avec le concours des diverses sociétés musicales du pays.

Alfred de Vigny disait d’elle qu’elle était « le plus grand esprit féminin de notre temps. » Je me contenterais de l’appeler « l’âme féminine la plus pleine de courage, de tendresse et de miséricorde. » — Béranger lui écrivait : « Une sensibi-