Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
110
PORTRAITS CONTEMPORAINS.


C’est qu’un nid d’or éclose au vert feuillage,
Ou que la perle accordée à la plage,
Sombre Océan, jaillisse de ton sein !
En s’enfuyant, la tempête qui gronde,
Purifiée, attiédie et féconde,
Dépose un feu, crée un être en ce monde,
S’émaille en fleurs ou voltige en essaim !

Même ordre encor dans l’histoire vivante :
Cher Béranger, ne dis pas que j’invente.

La République, aux débuts immortels,
L’éclair au front, la main sur les autels,
Avait, d’un geste, embrasé la fournaise !
Pour chant de guerre, elle eut la Marseillaise,
Vrai talisman ! mais ses fils dévoués
À la chanter s’étaient vite enroués.
Vainqueur à temps de l’Europe enhardie,
Le Consulat réparait l’incendie.
De foudre alors et de fer couronné,
L’Empire, lui, toujours avait tonné :
Sans air joyeux, sans chanson applaudie.
Sous ce dur maître, on avait moissonné.
À rangs égaux, en lignes sourcilleuses,
Dès le matin des luttes fabuleuses,
Aux flancs des monts vaguement éclairés,
Les noirs soldats s’ébranlaient par degrés ;
Dès qu’un rayon aux collines prochaines
Montrait l’aurore, ils saluaient César ;
Puis, tout le jour, à son jeu de hasard,
Silencieux, ils épuisaient leurs veines ;
Tant qu’à la fin, dans l’excès des combats,
Noble immolée, ô France, tu tombas !
Or, des douleurs de la France épuisée,
De sa chère aigle aux mains des rois brisée,
Des morts d’hier, des mânes d’autrefois.