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DE LA PREMIÈRE ÉDITION.

ce point gagné, je me retourne vers eux, je me fais en partie public, et je les juge.

Je les juge avec bien des ambages et des circonlocutions sans doute. Nos successeurs diront sans efforts, et en deux mots, ce que nous nous sommes donné beaucoup de peine pour envelopper ou délayer. Pourtant il n’est pas si malaisé d’entendre ce qu’il n’a été permis que d’indiquer ; et même dans cette manière, que je nomme ma première, et qui a un faux air de panégyrique, la louange (prenez-y garde) n’est souvent que superficielle, la critique se retrouverait dessous, une critique à fleur d’eau : enfoncez tant soit peu, et déjà vous y touchez.

Même en énumérant les qualités des talents amis, il y a un mot qu’il ne faudrait jamais perdre de vue, le circum prœcordia ludit, qu’un satirique accorde à l’aimable Horace : se jouer autour du cœur de ceux même qu’on caresse, et montrer qu’on sait les endroits où l’on ne veut pas appuyer.

En réimprimant ces portraits, je leur laisse exactement le caractère qu’ils eurent dans le temps de leur publication première, sans m’interdire toutefois les petites notes qui complètent ou restreignent. J’ai dû mettre çà et là des correctifs, je n’ai pas eu à faire de rétractation. Moyennant ce système de petites notes qui courent sous le texte, je rends à celui-ci son vrai sens ; la note est plus familière et donne la facilité de baisser d’un ton. J’ai cru qu’il était permis de parler à l’entre-sol un peu plus librement qu’au premier.

Il m’eût été facile, sur bien des points, de rendre ces portraits plus piquants ; j’ai dû le plus souvent me l’interdire. Entre tant d’écueils à travers lesquels je naviguais, si j’ai touché par accident sur quelques-uns, qu’il me suffise de me rendre ce témoignage que je ne crois pas avoir cédé à la crainte de déplaire quand j’ai été indulgent, ni à aucun sentiment hostile quand j’ai été plus sévère. J’ai pu craindre quelquefois d’affliger ; j’ai pu, d’autres