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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

quinze ans après, le 15 juillet 1850, je me crus en droit de revenir à neuf et comme si de rien n’était sur les Chansons de Béranger (voir Causeries du Lundi, tome II). Je n’ai cessé, au reste, de rendre justice à ses hautes qualités. Dans l’article du Moniteur qu’on me demanda pour ses funérailles, je n’ai rien dit que je ne pensasse (voir Causeries du Lundi, tome XV). Des amis tardifs de Béranger ont prétendu que j’avais prêté au poëte des sentiments qu’il n’avait pas. Je ne lui ai rien prêté. Béranger, qui était homme d’un bon esprit, eut celui de comprendre qu’ayant tout fait pour exalter et populariser l’Empire, il eût été ridicule à lui d’attaquer l’Empire revenu. Je ne dis pas qu’il y mit de l’enthousiasme, mais il eut le bon sens d’accepter ou de subir sans trop d’humeur le régime qu’il avait tout fait pour rappeler. L’Empire lui en a su gré ; c’est tout simple. Tout cela s’est passé officiellement ; c’était dans l’ordre. Le malheur de Béranger est d’avoir toujours eu autour de lui des écoliers qui ne le comprenaient pas. Lui mort, il y a eu entre eux des assauts d’orthodoxie sur son compte. Ç’a été, parmi les derniers venus, à qui se poserait en défenseur et en avocat d’office. Chacun tenait à accaparer sa mémoire. Il y a eu les grossiers parmi les zélés, il y a eu les pédants ; on m’a pris à partie, cela va sans dire ; on m’a fort découpé, sinon mis en pièces. Chicanes, ergoteries et misères ! J’ai rendu une dernière justice à cet homme excellent et supérieur malgré ses défauts, à propos de sa Correspondance (voir les Nouveaux Lundis, tome I). Ainsi je puis dire qu’avec Béranger, comme avec plus d’un personnage célèbre de nos jours, j’ai fait le tour de mon sujet, — et plutôt deux fois qu’une.