Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/161

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

scrit de ce dernier ouvrage a été trouvé dans l’espèce de grotte où vécut cet ouvrier, nommé Lallemant, et qu’il a été écrit par un autre solitaire plus lettré, son successeur. Il est probable qu’à une certaine époque de sa vie le véritable Oberman a essayé réellement de devenir ce solitaire. Immédiatement après le collége, en juillet 89, le père de M. de Sénancour, sans prétendre engager l’avenir de son fils, exigeait impérieusement qu’il passât deux années au séminaire de Saint-Sulpice. L’instant était mal choisi ; les convictions du philosophe de dix-neuf ans se révoltèrent. En cette crise décisive, il prit, d’accord avec sa mère, un parti extrême, et quitta Paris le 14 août 89, roulant un dessein qu’il n’a jamais confié, et que des obstacles rompirent. Dans ce même temps environ, partait aussi vers des plages immenses, et possédé d’immenses pensées, poussé également au songe de la vie solitaire, un autre élève de Jean-Jacques, celui qui sera le grand René. Oberman et René ! entre vous quelle conformité secrète à l’origine, quelle distance inouïe au terme ! Que le résultat de la vie vous a été contradictoire à tous deux ! Combien les orages vous ont réussi diversement dans vos moissons ! et pourquoi, pauvres grands hommes, ces lots, hélas ! presque toujours inconciliables, de la gloire et de la sagesse ? Notre fugitif s’arrêta vers le lac de Genève, et passa plusieurs mois à Charrières, près Saint-Maurice. On lit tout cela confusément sous le voile un peu ténébreux qu’y jette Oberman. Ce qui n’est ni obscur ni incertain, c’est l’effet que lui causa cette nature des Alpes et les peintures