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CHATEAUBRIAND.

nous n’aurons que cet avantage[1], nous essayerons d’en dire quelque mot. C’était, comme on le sait, dans un salon réservé, à l’ombre d’une de ces hautes renommées de beauté auxquelles nul n’est insensible, puissance indéfinissable que le temps lui-même consacre et dont il fait une muse. La bonté ingénieuse surtout, si une fois elle a été unie à la beauté souveraine, et n’a composé avec elle qu’un même parfum, est une grâce qui devient enchanteresse à son tour et qui ne périt pas. Dans ce salon, qu’il faudrait peindre, où tout dispose à ce qu’on y attend, dont la porte reste entr’ouverte sur le monde qui y pénètre encore, dont les fenêtres donnent sur le jardin clos et sur les espaliers en fleur d’une abbaye, on a donc lu les Mémoires du vivant le plus illustre, lui présent. Mémoires qui ne paraîtront au jour que lui disparu. Silence et bruit lointain, gloire en plein régnante et perspective d’un mausolée, confins du siècle orageux et d’une retraite ensevelie, le lieu de la scène était bien trouvé. Dans ce salon étroit, et qui était assez peu et assez noblement rempli pour qu’on se sentît fier d’être au cercle des préférés, il était impossible, durant les intervalles de la lecture, ou même en l’écoutant, de ne pas s’égarer aux souvenirs. Ce grand tableau qui occupe et éclaire toute la paroi du fond, c’est Corinne au cap Misène : ainsi le souvenir d’une amitié glorieuse remplit, illumine toute une vie. En face, cette branche toujours verte de

  1. M. Janin venait d’écrire quelque article sur ces lectures, mais sans y avoir assisté.