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SÉNANCOUR.

a écrit plus tard, respire un parfum de grâce céleste, une ravissante fraîcheur de spiritualité. Les Réflexions sur l’État de l’Église, qui furent imprimées un an après, en 1808, mais que la police de Bonaparte[1] arrêta aussitôt, appartiennent au contraire à la lutte hardie de l’apôtre avec le siècle, et en sont comme le premier défi. M. de La Mennais s’y élève déjà contre l’indifférence glacée qui ne prend plus même à la religion assez d’intérêt pour la combattre : « Aujourd’hui, » dit-il, « il en est des vérités les plus importantes comme de ces bruits de ville, dont on ne daigne même pas s’informer. » C’est au matérialisme philosophique qu’il rapporte particulièrement ces effets, et il en poursuit la source chez M. de Voltaire, chez M. de Condillac et jusque chez M. Locke. Le style s’y montre en beaucoup d’endroits ce qu’il sera plus tard ; mais les idées théoriques, trop peu dégagées, ne le soutiennent pas encore ; il y a excès de crudité dans les formes. L’auteur, dès ce temps, n’espère rien que d’un nouveau clergé ; il propose des synodes provinciaux, des conférences fréquentes, de libres communautés entre les prêtres de chaque paroisse, en un mot l’association sous diverses formes et tous les moyens de renaissance. La réforme pratique que le prêtre Bourdoise opéra dans les mœurs de son Ordre, après les désastres de la Ligue,

  1. Dans cette première édition cependant, M. de La Mennais avait, assure-t-on, risqué un éloge fort enthousiaste de Bonaparte : cet enthousiasme, que partagèrent au début bien des membres du clergé et des auteurs de la réaction religieuse, n’aurait rien qui pût surprendre et serait même un trait de plus bien d’accord avec la physionomie entière de cette âme empressée.