Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/230

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pesamment le sceptre, au cri que poussaient les peuples le Saint-Siège s’émouvait et portait sentence. Mais au moment où commença de se prononcer l’émancipation des peuples, le Saint-Siège devint inhabile, les princes et les sujets se montrèrent récalcitrants ; ces derniers s’entendirent pour ne plus recourir à l’autre, sauf à vider bientôt leurs différends réciproques sans arbitre et dans un duel irréconciliable. Tout cela se fit par degrés, selon les temps et les pays ; il y eut chez nous une ère transitoire qui eut sa splendeur sous Louis XIV, sa mourante lueur sous la Restauration, et durant laquelle, tout en reconnaissant la puissance spirituelle, en lui rendant hommage en mille points, en se signant ses fils aînés, on se posa en face d’elle comme pouvoir indépendant, à jamais légitime de père en fils sur la terre. La plupart des théologiens prêtèrent leurs subtilités à ce système bâtard ; quelques autres par ressouvenir du passé, deux ou trois par sentiment d’avenir, s’élevèrent pour le combattre : tels Fénelon et M. de La Mennais. Je m’attache à celui-ci. La difficulté pour lui était grande : il comprit assez vite, dans son essor progressif, qu’après une révolution comme la nôtre l’émancipation des peuples était signifiée hautement, et que la paternité tutélaire des Boniface VIII et des Grégoire VII ne pouvait se rétablir, même en supposant acquise la docilité des rois. Il sentit que, dans l’âge futur régénéré, l’union de l’ordre de justice et de vérité avec l’ordre matériel n’aurait plus lieu que par un mode libre et nouveau, convenable à la virilité des peuples ; il avait hâte d’ailleurs de voir tomber ces liens adul-