Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/263

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et à un christianisme librement interprété, ou bientôt être réduit à se taire en vertu de défense supérieure. Ce dernier résultat ne me paraissait pas, je l’avoue, aussi déplorable et aussi nécessairement infertile que l’a jugé l’illustre auteur. Il était beau après tout, et de grand exemple, tant qu’il l’avait pu, lui prêtre, d’avoir tenté un réveil, d’avoir jeté à poignées des semences. Que si Rome intervenait et lui commandait de cesser, il me semble (autant qu’on a droit de raisonner sur les desseins providentiels) qu’il n’était pas si déraisonnable à un catholique resté croyant à la liberté et en même temps soumis au Saint-Siège, de juger ainsi : « Il a été bon que M. de La Mennais et ses amis, durant deux années, jetassent ces germes dans le monde : il peut être bon que pour le moment ces germes en restent là, et, puisque Rome le décide, agissant en ce point aveuglément si l’on veut, et par des ressorts intermédiaires humains, mais d’après une direction divine cachée, il faut bien qu’il y ait utilité dans ce retard. Malgré la première apparence qui semble contraire, plusieurs raisons en effet, même humaines, peuvent faire entrevoir cette utilité. Il importe que ces germes, en se hâtant trop, ne se mêlent pas avec d’autres moins purs et qui font partout ivraie ; et d’ailleurs le bon blé ne reste-t-il pas assoupi tout un hiver dans son sillon ? » Je ne propose pas ce raisonnement comme modèle aux philosophes et politiques, aux gens du monde, aux littérateurs et artistes ; mais je le trouvais tout naturel et facile dans l’esprit d’un catholique croyant comme l’é-