Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/273

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Tout ce récit, au reste, du catholique détrompé, est fait avec modération[1], et, comme il le dit plusieurs fois, avec candeur. « Chacun, ajoute-t-il, en tirera les conséquences qu’il croira devoir en tirer ; je n’ai ni la prétention ni le désir d’exercer aucune influence sur l’opinion d’autrui. » Mais quoi ? de l’oubli encore ? quoi ? vous, apôtre par excellence, vous, l’homme de la certitude, prêtre fervent qui ne cessiez de nous exhorter, vous n’avez nul désir d’exercer influence sur autrui ! Est-ce bien possible d’abdiquer brusquement de la sorte, et cela vous était-il permis ? Rien n’est pire, sachez-le bien, que de provoquer à la foi les âmes et de les laisser là à l’improviste en délogeant. Rien ne les jette autant dans ce scepticisme qui vous est encore si en horreur, quoique vous n’ayez plus que du vague à y opposer. Combien j’ai su d’âmes espérantes que vous teniez et portiez avec vous dans votre besace de pèlerin, et qui, le sac jeté à terre, sont demeurées gisantes le long des fossés ! L’opinion et le bruit flatteur, et de nouvelles âmes plus fraîches comme il s’en prend toujours au génie, font beaucoup oublier sans doute et consolent : mais je vous dénonce cet oubli, dût mon cri paraître une plainte !

À défaut de la foi, et après un désabusement aussi avoué sur des points importants crus vrais durant de

  1. Les croyants catholiques, je dois le dire, en ont jugé autrement ; cette modération inaccoutumée dans les termes ne leur a paru qu’une arme de plus et qu’une rancune ironique mieux couverte, qui pourtant éclate dans l’implacable dilemme de la fin : « Il est au fond si implacable contre l’Église, » me disait Mme Swetchine, « qu’il lui ôte même la chance du repentir ! »