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Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/319

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n’éternise pas d’assez loin un tombeau. Heureux le poëte lyrique, le frère harmonieux des Coleridge et des Wordsworth, qui peut à temps, et mieux qu’eux, se ménager une œuvre d’ensemble ; une œuvre (s’il est possible) qu’une lente perfection accomplisse ; où ne sera pas plus de génie assurément que dans ces feuilles sibyllines éparses, âme sacrée du poëte, mais une œuvre plus commode à comprendre et à saisir des générations survenantes ; — espèce d’urne portative que la Caravane humaine, en ses marches forcées, ne laisse pas derrière, et dans laquelle elle conserve à jamais une gloire !

Si les années en se déployant ne nuisent pas au cours d’inspiration du vrai poëte lyrique, les événements, les révolutions qui déconcertent et ruinent les talents de courte haleine, le servent aussi. Il a été utile à M. de Lamartine, comme au petit nombre de talents éminents qui s’étaient liés à la cause de la Restauration, que-celle-ci tombât. Les barrières du champ clos n’existant plus, ces talents ont pu, sans infidélité, aller à leur tour dans tous les champs de l’avenir, qui déjà, de bien des côtés, s’ensemençaient sans eux ; ils ont pu arriver à temps, et là, en perspectives sociales, en espérances, en images sublimes, prélever, par droit de génie, toutes les dîmes glorieuses, qu’ils ajoutent chaque jour à leurs vieilles moissons. Les génies abondants et forts sont comme ces villes populeuses qui croissent vite et qui reculent tous les dix ans leur enceinte. Hors de l’enceinte première, au pied du rempart qu’ils semblaient s’être tracé, des essais de culture nouvelle et