Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/378

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Restant dans le général, je dirai seulement : Quand on a une lyre, et une telle lyre, pourquoi donc à plaisir la briser, ou la défaire en la voulant étendre à l’infini ? La lyre première de Lamartine avait je ne sais combien de cordes, une seule, disaient les jaloux, mais plusieurs, je le crois, mais surtout des cordes assorties ; elle était bornée ; elle était vague, éolienne, mais elle n’était pas indéfinie ; tant mieux ! Qu’a-t-il fait ? Ambitieux et négligent à la fois, il a voulu y ajouter des cordes en tous sens ; au lieu d’une lyre, c’est-à-dire un instrument chéri, à soi, qu’on serre sur son cœur, qui palpite avec vous, qu’on élève au-dessus des flots au sein du naufrage, qu’on emporte de l’incendie comme un trésor, il a fait une espèce de machine-monstre qui n’est plus à lui, un corridor sans fin tendu de cordes disparates, à travers lequel passant, courant nonchalamment, et avec la baguette, avec le bras, avec le coude autant qu’avec les doigts, il peut tirer tous les sons imaginables, puissants, bronzés, cui-

    affections irrésistibles, n’a qu’un seul devoir à remplir, c’est d’exprimer fidèlement sa pensée et de rendre hommage à ce qu’il croit être la vérité, soit qu’il l’ait depuis longtemps connue, soit qu’elle vienne de lui apparaître. Il n’y a de répréhensible et de pleinement déraisonnable, dans la communication des idées, que le mensonge. Seulement on peut regretter que La Harpe ait combattu ses anciennes opinions avec encore plus d’emportement et d’aigreur qu’il n’en avait mis pendant quarante ans à les soutenir. La modération eût à la fois convenu au caractère de ses nouvelles croyances et à ce long empire qu’avaient exercé sur lui les doctrines qu’il abjurait. Il devait se dire, comme Cicéron : Nimis urgeo, etc. » (Discours préliminaire en tête du Cours de Littérature de La Harpe, 1826.)