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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

la Providence, l’aveuglement incorrigible des vieilles races, et il s’est dit qu’à l’ère expirante des dynasties succédait l’ère définitive des peuples et des grands hommes. Longtemps mêlée à ces orages des partis, à ces cris d’enthousiasme ou d’anathème, sa jeunesse n’avait pourtant rien à rayer de son livre ni à désavouer de sa vie ; le témoignage qu’il se rendait dans la pièce citée plus haut, il peut le redire après comme avant ; nul ne lui contestera ce glorieux jugement porté par lui sur lui-même. Pour nous, il nous a semblé que dans ce grand dépouillement du passé, qui se fait de toutes parts et sur toutes les existences, c’était peut-être l’occasion de confier au public ce que depuis longtemps nous savions de la vie première, de l’enfance, des débuts et de l’éducation morale du poëte, notre ami, dont le nom se popularise de jour en jour. Notre

    n’a pas fléchi : Mens immota manet, lacrymæ volvuntur inanes. Déjà, dans l’Ode à la Colonne, M. Hugo avait prouvé qu’il savait comprendre toutes les gloires de la patrie ; sa conduite, en plus d’une circonstance, avait montré aussi qu’il était fait à la pratique de la liberté : son talent vivra et grandira avec elle, et désormais un avenir illimité s’ouvre devant lui. Tandis que Chateaubriand, vieillard, abdique noblement la carrière publique, sacrifiant son reste d’avenir à l’unité d’une belle vie, il est bien que le jeune homme qui a commencé sous la même bannière continue d’aller, en dépit de certains souvenirs, et subisse sans se lasser les destinées diverses de son pays. Chacun fait ainsi ce qu’il doit, et la France, en honorant le sacrifice de l’un, agréera les travaux de l’autre. » (Suivait la pièce de vers de Victor Hugo : À la jeune France.) — Ce petit article, qui avait pour intention de piloter l’ode à travers les passes encore étroites du libéralisme triomphant, est du 19 août, vingt jours après la révolution.