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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

joyeux de leurs triomphes. Veillez, veillez, jeunes gens ; recueillez vos forces, vous en aurez besoin le jour de la bataille : les faibles oiseaux prennent leur vol tout d’un trait ; les aigles rampent avant de s’élever sur leurs ailes. » Et pourtant son hardi et heureux frère ne rampait déjà plus.

Victor Hugo perdit sa mère en 1821 : ce fut pour lui une affreuse douleur, tempérée seulement par l’idée que son mariage n’était plus désormais si impossible. Il passa une année dans une petite chambre rue Mézières, puis rue du Dragon, étudiant et travaillant à force, jaloux de prouver à son père qu’il pouvait se suffire à lui-même. Le parti dit royaliste arrivait aux affaires dès cette époque ; Hugo jeune, non envié encore, caressé de tous, eût pu aisément se laisser porter et parvenir vite et haut. Sa fortune en dépendait ; et le seul obstacle alors à son mariage, à son bonheur, c’était sa fortune ! Dans cette crise délicate, il demeura opiniâtrément fidèle à la dignité morale, à la gloire, à la poésie, à l’avenir. Des insinuations lui furent faites ; il ne les releva pas et se tint à l’écart, pur de toute congrégation et de toute intrigue. Il ne demanda rien, ne voulut rien, et voici à quelle occasion seulement il reçut une pension du roi.

C’était après la conspiration de Saumur : Delon, son ancien camarade d’enfance, venait d’être condamné à mort, et la police cherchait à l’atteindre. Victor avait cessé de le voir depuis quelques années, à cause de la profonde division de leurs sentiments politiques. Mais il apprend son danger : il avait deux logements, celui