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VICTOR HUGO.

homme, qu’il ne pouvait s’empêcher de rougir quand on prononçait devant lui le nom de l’auteur des Essais. La critique ne doit pas ressembler à cet éditeur. Bien qu’il y ait eu peut-être quelque mérite à elle de donner le signal et de sonner la charge dans la mêlée, il ne convient pas qu’elle en parle comme ce bedeau si fier du beau sermon qu’il avait sonné. La critique, en effet, cette espèce de critique surtout, ne crée rien, ne produit rien qui lui soit propre ; elle convie au festin, elle force d’entrer. Le jour où tout le monde contemple et goûte ce qu’elle a divulgué la première, elle n’existe plus, elle s’anéantit. Chargée de faire la leçon au public, elle est exactement dans le cas de ces bons précepteurs dont parle Fontenelle, qui travaillent à se rendre inutiles, ce que le prote hollandais ne comprenait pas.

Toutefois, pour être juste, il reste encore à la critique, après le triomphe incontesté, universel, du génie auquel elle s’est vouée de bonne heure, et dont elle voit s’échapper de ses mains le glorieux monopole, il lui reste une tâche estimable, un souci attentif et religieux : c’est d’embrasser toutes les parties de ce poétique développement, d’en marquer la liaison avec les phases qui précèdent, de remettre dans un vrai jour l’ensemble de l’œuvre progressive, dont les admirateurs plus récents voient trop en saillie les derniers jets. Mais elle doit elle-même se défier d’une tendance excessive à retrouver tout l’homme dans ses productions du début, à le ramener sans cesse, des régions élargies où il plane, dans le cercle ancien où elle l’a