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CHATEAUBRIAND.

viennent jamais seules ; elles se donnent la main comme les Furies ou comme les Muses. » L’honneur donc (et nous citons toujours), l’honneur, cette exaltation de l’âme qui maintient le cœur incorruptible au milieu de la corruption, ce principe réparateur près du principe dévorant, allume en cette jeune âme un foyer qui ne va plus s’éteindre, et qui sera peut-être son principal autel. Il y a là, à ce sujet, la délicieuse histoire d’un nid de pies déniché malgré les défenses de l’abbé Egault ; l’abbé furieux se venge en condamnant au fouet le coupable. On trouve également dans Rousseau l’histoire d’une condamnation injuste au fouet ; mais Rousseau la subit, et de la main de mademoiselle Lambercier, avec des sentiments d’une énergie concentrée, violente, toutefois un peu souillée, si l’on s’en souvient. Ici la différence des natures se déclare. Le chevalier résiste, il se défend, il obtient capitulation ; il reste intact, et son honneur, même d’enfant, peut marcher la tête haute, pur d’affront.

La première communion faite, le chevalier de Chateaubriand va de Dol achever ses études au collége de Rennes, où il hérite du lit du chevalier de Parny, où il devient condisciple de Moreau et de Limoëlan. De Rennes, il va ensuite à Brest, où il reste quelques mois au milieu des constructions navales comme Télémaque à Tyr, mais sans Mentor[1]. Ses instincts de voyageur

  1. « Peut-être n’avais-je déjà plus cette innocence qui nous fait un charme de tout ce qui est innocent : ma jeunesse n’était plus enveloppée dans sa fleur, et le temps commençait à la déclore. »