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VICTOR HUGO.

tions individuelles les plus hardies. On les croit indestructibles, on les laisse sommeiller en soi comme suffisamment assises, et un matin on se réveille, les cherchant en vain dans son âme : elles s’y sont affaissées comme une île volcanique sous l’Océan. On a déjà pu remarquer un envahissement analogue du scepticisme dans les Harmonies du plus chrétien, du plus catholique de nos poëtes, tandis qu’il n’y en avait pas trace dans les Méditations, ou du moins qu’il n’y était question du doute que pour le combattre. Mais l’organisation intime, l’âme de M. de Lamartine, est trop encline par essence au spiritualisme, au Verbe incréé, au dogme chrétien, pour que même les négligences de volonté amènent chez lui autre chose que des éclipses passagères : dans M. Victor Hugo, au contraire, le tempérament naturel a un caractère précis à la fois et visionnaire, raisonneur et plastique, hébraïque et panthéiste, qui peut l’induire en des voies de plus en plus éloignées de celles du doux Pasteur. L’intuition libre, au lieu de le réconcilier insensiblement par l’amour, engendre familièrement en son sein des légions d’épouvantes. Il n’y avait donc qu’une volonté de tous les instants qui pût le diriger et le maintenir dans la première route chrétienne où sa muse de dix-neuf ans s’était lancée. Or le poëte, qui possède cependant une vertu de volonté si efficace et qui en donne chaque jour des preuves assez manifestes dans le cours de son infatigable carrière, semble en être venu, soit indifférence pratique, soit conscience de l’infirmité humaine en ces matières, à ne plus appliquer cette volonté à la