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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

Quelques mois plus tard, cette statue de l’antique Pylade était déjà détrônée chez lui par l’amour : le sentiment qui avait inspiré au poëte sa nouvelle dut lui sembler arriéré, et par trop adolescent ; il ne jugea pas à propos d’accorder à celle-ci une publicité à part. Ce fut sur Han d’Islande que ses soins et ses préférences se concentrèrent.

Puis, lorsque plus tard encore il vit sans doute qu’illusions pour illusions il ne fallait pas être trop dédaigneux des premières, il revint à Bug, le remania, conserva le cadre, mais le redora en mille manières, enrichit le paysage de ces couleurs où la Muse lui avait récemment appris à puiser, compliqua les événements, introduisit entre ses personnages le seul sentiment qui ait un attrait souverain pour la jeunesse, et d’où sortent les rivalités, les perfidies, les sacrifices, les incurables blessures ; il mit l’amour, il montra la douce Marie. Bug aussitôt devint ému et radieux sous sa royale beauté d’ébène ; le mélancolique d’Auverney rougit d’une délicate nuance ; les jardins se fleurirent, les mornes verdoyants embaumèrent, tout s’anima. Il y eut bien encore un certain serment, une parole d’honneur donnée par le capitaine au féroce Biassou, dont il est prisonnier, et qu’il ne semble pas très-naturel de lui faire tenir, quand cela peut coûter la vie à son

    un jeune homme dans la plaine de Marathon ou au Capitole, il éprouve le besoin d’avoir près de lui un ami, un frère d’armes, mais rien de plus ; car il n’y a rien qui nuise plus au héros qu’une héroïne. Dans le jeune homme à l’âme forte, l’amitié paraît avant l’amour. »