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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

et chevaleresques s’étant dissipées, M. Hugo a continué sa série d’odes ou pièces politiques et sociales, avec une pensée plus mûre, vraiment progressive, honnête et indépendante, aidée d’une incomparable imagination. Mais, dans toutes ces pièces récentes, louables de pensée, grandioses de forme, sur le bal de l’Hôtel de Ville, sur le gala du budget ; dans ces prières à Dieu sur les révolutions qui recommencent ; dans ces conseils à la royauté d’être aumônière comme au temps de saint Louis ; dans ce mélange, souvent entre-choqué, de réminiscences monarchiques, de phraséologie chrétienne et de vœux saint-simoniens, il n’est pas malaisé de découvrir, à travers l’éclatant vernis qui les colore, quelque chose d’artificiel, de voulu, d’acquis : toute cette portion des Chants du Crépuscule me fait l’effet d’une tenture magnifique dressée tout exprès pour une scène. Depuis que M. Hugo s’occupe de théâtre, on dirait que chez lui, même dans le lyrique, le théâtral a gagné.

C’est en ce qui tient davantage à la méditation, à l’élégie, que M. Hugo nous semble avoir, dans les Chants du Crépuscule, produit quelques-unes de ces choses de l’âme et de l’imagination qui sont venues plutôt que voulues. De ce nombre, la belle pièce xiii sur les suicides multipliés, plusieurs pièces d’amour qui sont de véritables élégies, xxi, xxiv, xxv, xxvii, surtout la vingt-neuvième, qui commence par ces vers :

Puisque nos heures sont remplies
De trouble et de calamités ;