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VICTOR HUGO.

Mais qu’importe à la cloche, et qu’importe à mon âme ?
Qu’à son heure, à son jour, l’Esprit saint les réclame,
Les touche l’une et l’autre, et leur dise : Chantez !
Soudain par toute voie et de tous les côtés
De leur sein ébranlé rempli d’ombres obscures,
À travers leur surface, à travers leurs souillures,
Et la cendre et la rouille, amas injurieux,
Quelque chose de grand s’épandra dans les cieux.

Et c’est alors que les foules au loin écoutent et s’inclinent, que le sage pieux redouble de croyance, que la vierge et le jeune homme enthousiastes adorent dès ici-bas la réalisation de leurs rêves infinis. Oh ! non, tout cela n’est pas menteur ; c’est la voix de Dieu même qui parle par ces instruments magnifiques, où, pendant le saint moment, a disparu toute souillure. — Nous renvoyons bien vite le lecteur, excité par notre analyse, à ce grand morceau de poésie ; nous n’y voudrions retrancher ou corriger que deux endroits. Dans la peinture des passions qui s’essayent tour à tour à ternir notre âme, le poëte les montre

Qui viennent bien souvent trouver l’homme au saint lieu,
Et qui le font tinter pour d’autres que pour Dieu.

Il est fâcheux que, par son besoin immodéré de suivre l’analogie de l’image matérielle jusque dans ses moindres circonstances, M. Hugo fasse ainsi tinter l’homme. Il sied aux comparaisons et similitudes dans la poésie, à part les grands traits généraux, d’être libres chemin faisant et diverses. Les Anciens dans leurs comparaisons excellaient à cette généreuse liberté des détails ; et si les modernes, par suite de l’esprit croissant d’analyse,