Page:Sainte-Beuve - Portraits contemporains, t1, 1869.djvu/476

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
468
PORTRAITS CONTEMPORAINS.

senta comme voisin et comme rédacteur d’un journal ami : il demeurait rue Notre-Dame des Champs, et il écrivait dans le Globe. Le Globe ne s’en tiendrait pas, dit-il, à un seul article sur Cromwell ; c’était lui-même qui ferait les autres. Il avait demandé à s’en charger, redoutant un retour de M. Dubois, qui n’était pas tous les jours d’une humeur si admirative et qui redeviendrait bien vite professeur. L’entrevue fut fort agréable, et l’on se promit de se revoir, ce qui était d’autant plus facile que M. Victor Hugo allait se rapprocher encore de son critique et loger lui-même rue Notre-Dame des Champs. »


Dans ces récits faits en courant et à si longue distance, la mémoire, si on ne la contrôle de près, a bien de la peine à ne pas être involontairement infidèle. C’est ce qui est arrivé dans ce cas au bienveillant narrateur. Ainsi ce ne fut point à l’occasion du Cromwell que j’allai pour la première fois chez Victor Hugo (en janvier 1827) ; le Cromwell n’avait point encore paru, et l’auteur devait seulement en faire prochainement lecture, ou en partie, dans le salon de son beau-père. Je n’y allais pas non plus pour m’offrir d’en parler, ni pour faire des avances : j’étais trop critique, même dans ma jeunesse, pour aller d’emblée me jeter à la tête des auteurs dont je pouvais avoir à parler. Mais voici ce qui se passa : j’avais été chargé par M. Dubois de rendre compte dans le Globe du recueil des Odes et Ballades ; je l’avais fait avec des réserves, mais dans un assez vif sentiment de sympathie et de haute estime. Victor Hugo étant allé voir M. Dubois lui demanda mon nom et mon adresse pour me remercier. Or, précisément, je demeurais porte à porte, et sans le savoir, près de Victor Hugo, non pas encore rue Noire-Dame-des-Champs, mais bien rue de Vaugirard. Hugo y occupait un modeste appartement au second, no 90, et moi j’y habitais avec ma mère au no 94. Hugo étant venu chez moi sans me rencontrer et m’ayant laissé sa carte, j’allai lui rendre sa visite le lendemain vers midi, et je le trouvai à déjeuner. La conversation, dès les premiers mots, roula en plein sur la poésie ; Mme  Hugo me demanda à brûle-pourpoint de qui