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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

grâce à Dieu, parce qu’une si agréable corruption suppose une réunion délicate d’heureuses qualités et de dons brillants, la plupart des hommes dans la société, à la manière dont ils prennent les femmes, se l’approchent autant qu’ils le peuvent de ce type favorisé. Honneur à l’auteur d’Indiana de lui avoir arraché sa fausse enveloppe, et d’avoir étalé à nu son misérable bonheur ! Il y a cependant quelque ironie peu fidèle à nous montrer vers la fin Raymon, si frais, si beau, si calme, au centre des pauvres destinées égarées dont il est le fléau, et n’ayant pas gagné une ride, pas perdu un cheveu. Cette force d’indifférence n’existe pas réellement, même au cœur du plus ingénieux égoïsme. La vanité, le caprice, les sens, le besoin de succès et de plaisir à tout prix, deviennent en ces sortes d’âmes des passions moins nobles, mais non moins acharnées, qui gravent aussi leurs rides au front et en arrachent les cheveux. Dans le monde, le visage de ces hommes se compose et sourit invariablement par habitude, par artifice : dans la solitude, dans les moments de réflexion, en robe de chambre et en pantoufles, surprenez-les, ils sont sourcilleux, sombres ; ils se font, à la longue, un visage dur, mécontent et mauvais. — J’aurais autant aimé, de plus, qu’en accordant à Raymon de Ramière de grands talents et un rôle politique remarquable, on insistât moins sur son génie et sur l’influence de ses brochures : car, en vérité, comme les hommes de génie ou de talent qui écrivent des brochures en France, qui en écrivaient vers le temps du ministère Martignac ou peu