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GEORGE SAND.

teur n’était pas seulement doué d’une âme qui eut souffert et d’un souvenir qui sût se peindre. Sa propre histoire contée (si tant est que ce fût sa propre histoire), l’auteur d’Indiana en savait d’autres, il en pouvait recommencer et dire à l’infini ; avec la clef des cœurs humains, il avait la création et le jeu des figures. Valentine me le prouvait, le nom de G. Sand cachait un de ces maîtres à qui la baguette et le miroir d’enchanteur ont été donnés, à qui le monde est ouvert pour qu’ils s’y promènent, et qui, s’ils veulent faire de leur art un juste emploi, peuvent nous entraîner sur leurs traces et nous retenir longtemps.

Nous sommes donc dans la famille Lhéry, bons fermiers enrichis, dont la fille est une demoiselle et s’appelle Athénaïs : elle a passé deux ans dans un pensionnat d’Orléans ; on la destine à Bénédict, son cousin germain, jeune homme orphelin et pauvre que son bon oncle et sa bonne tante Lhéry ont recueilli chez eux en bas âge et ont, plus tard, envoyé étudier à Paris. Bénédict, spirituel, instruit, ironique et né ennuyé comme les jeunes gens de ces dernières générations, a rapporté, à vingt-deux ans, sous le toit rural, un cœur ambitieux, mécontent, un besoin vague de passion et d’action, le dégoût de tout travail positif, des talents d’ailleurs, des idées, surtout des désirs, un sentiment très-vif et très-amer de son infériorité de condition et des ridicules de ses bons parents ; il n’épargne pas, dans son dédain, sa jolie et fraîche cousine Athénaïs qui n’aspire qu’à lui plaire. La beauté d’ Athénaïs est de celles qui réussissent généralement ; mais si les