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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

le croira sans peine, choisit précisément celle qui est impossible, la fiancée de M. de Lansac, Valentine ; ou plutôt il ne choisit pas : l’amour, qui n’est pas un choix, mais un don et un destin, l’amour entre eux deux se déclare. Il est à regretter qu’ayant su si bien conduire le roman à son point de maturité, l’auteur en ait développé la seconde moitié avec une précipitation qui laisse beaucoup de traces. À partir du double mariage de Valentine et d’Athénaïs, la vérité parfaite du commencement ne se montre plus que par retour : le talent essaye en vain de racheter à force de scènes le naturel et la vraisemblance qui ne peuvent sortir que de l’ensemble des situations lentement approfondies. On a remarqué avec raison que M. de Lansac était un homme tout d’une pièce, une utilité de roman, un chiffre commode et invariable. La scène du cabinet, au fond du jardin, et celle de la chambre à coucher, dans la nuit des noces, ont été indiquées comme fort belles et le sont en effet, quoique je préfère pour ma part les courses moins arrangées et moins dramatisées du premier volume. Au sujet de la scène de chambre à coucher, j’avoue que le délire éloquent que l’auteur a su tirer de la potion d’opium bue par Valentine ne me fait point passer sur la convenance de ce moyen fantastique, devenu si à la mode : y aura-t-il donc inévitablement dans chaque roman nouveau une scène d’opium, comme il y avait autrefois un songe et une tirade : Où suis-je ? où vais-je ?… dans chaque tragédie ? J’aurais mieux aimé incomparablement entendre ce que se seraient dit l’un à l’autre, tout éveillés et en