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GEORGE SAND.

rigueur que je l’aurais été dans une bastille. » J’indiquerai encore dans le début toute cette promenade poétique du jeune Sténio sur la montagne, la description si animée de l’eau et de ses aspects changeants, et, au sein de la nature vivement peinte, les secrets surpris au cœur : « Couché sur l’herbe fraîche et luisante qui croît aux marges des courants, le poëte oubliait, à contempler la lune et à écouter l’eau, les heures qu’il aurait pu passer avec Lélia : car à cet âge tout est bonheur dans l’amour, même l’absence. » On pourrait, chemin faisant, noter dans Lélia une foule de ces douces et fines révélations, dont l’effet disparaît trop dans l’orage de l’ensemble.

Quoi qu’il en soit, Lélia, avec ses défauts et ses excès, est un livre qui méritait grandement d’être osé. Si la rumeur du moment lui semble contraire, la violence même de cette rumeur prouve assez pour l’audace de l’entreprise. Nous aurions souhaité au livre un ton plus apaisé, des conclusions plus consolantes, plus de conduite et de tempérance, en quelque sorte ; mais n’eût-ce pas été en changer la nature et y retrancher une portion notable des qualités ou défauts extraordinaires ? Lélia, d’ailleurs, est un ouvrage une fois fait ; il n’est pas à craindre que l’auteur continue cette manière et donne suite à ce genre. L’auteur, nous l’espérons, reviendra au roman de la vie réelle, comme Indiana et Valentine l’ont posé ; mais il y reviendra avec toute la force acquise dans une excursion supérieure. Parmi les personnages et portraits charmants déjà en foule échappés à sa plume, nous en savons un