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GEORGE SAND.

public. Je crois que l’ouvrage est beaucoup trop étendu pour la valeur du sujet, qui est frivole. J’en avais d’abord fait une nouvelle ; le besoin d’argent et je ne sais quelles dispositions facétieuses de mon esprit m’ont fait barbouiller beaucoup plus de papier qu’il n’aurait fallu. Prenez toutes ces choses en considération, et, si vous trouvez le livre pitoyable, ne me découragez pas trop. Je n’ai pas dessein de faire beaucoup de choses aussi futiles, et je vais entreprendre, à l’heure qu’il est, un travail plus soigné.

« Il faut que je vous demande un autre conseil, au risque de vous ennuyer de moi à mort. J’ai vu Béranger une fois, je l’ai trouvé excellent, et j’ai beaucoup désiré le revoir et cultiver une connaissance qui me semble précieuse. Je n’ai pas le désir de faire de nouveaux amis : j’ai tout ce qu’il me faut en ce monde ; ma vie de cœur est arrangée et ne cherche plus rien ; mais causer de temps en temps avec un homme aussi distingué et aussi bon me serait agréable. Je lui ai écrit et l’ai invité à dîner, en lui demandant la permission de lui présenter Musset. Il m’a répondu une lettre charmante, et quelques jours après il est venu me voir, pour me dire qu’il partait pour la campagne pour huit ou dix jours, et qu’à son retour il viendrait dîner avec moi. Il a dit ces choses à ma duègne, car, comme il n’était guère que deux heures de l’après-midi, je n’étais pas levée. Il y a, je crois, six semaines de tout cela, et je n’ai plus entendu parler de lui. J’ai eu envie de lui écrire, mais je n’ai pu m’y décider. Je suis très-orgueilleuse, mon ami, et plus on dit de mal de moi, plus je deviens hautaine et concentrée. Il fallait que je vous aimasse bien sincèrement pour solliciter de vous des explications et pour vous en donner comme je l’ai fait : je ne m’en repens certes pas, puisque vous m’avez rendu votre confiance et que rien, j’espère, ne la troublera plus ; mais avec personne au monde je ne voudrais recommencer. Et non-seulement cela, mais toute espèce d’avance affectueuse ou d’insistance quelconque pour entretenir une liaison qui semblerait me fuir serait pour moi chose odieuse et impossible. Cependant, si Béranger est sincère dans les expressions de ses lettres, il n’y aurait rien de cela ; mais je suis maintenant craintive et méfiante, et je n’ose plus faire un pas, même quand le cœur me le dit. Dites-moi donc ce qu’il faut faire. Vous connaissez Béranger, vous savez s’il y a en dessous de ses paroles ces petites ruses de politesse auxquelles je n’entends rien, et si ses excuses sont des pré-