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CHATEAUBRIAND.

mots propres et choisis, les expressions nettes et les périodes harmonieuses. » Les traductions qu’il donne des Pères et qui sont presque continuelles dans son texte ont surtout suavité et largeur ; enfin il suffit de gravir, on recueille une abondance de miel au creux du rocher.

À mesure qu’on avançait dans le siècle, l’abbaye de la Trappe gagnait en autorité aux yeux du monde ; elle héritait de l’affluence et du concours qui ne se partageait plus entre d’autres saints lieux désormais suspects et sans accès. Rancé devenait l’oracle unique du désert ; les convertis et les vertueux du dehors allaient à lui. La princesse Palatine le consultait et suivait ses directions ; le roi d’Angleterre, pour se consoler de la perte d’un trône, revenait l’entretenir de Dieu chaque année ; la duchesse de Guise (fille de Gaston d’Orléans) faisait des stations à la Trappe deux et trois fois l’an et se logeait dans les dehors ; le maréchal de Bellefonds se tenait toujours à portée et avait une maison dans le voisinage. On sait les retraites fréquentes et les huitaines de Saint-Simon, qui nous a donné sur cet intérieur austère des jours tout particuliers, d’une clarté vive, et qui nous y font pénétrer. Il ne parle jamais du pénitent rigoureux qu’avec tendresse.

Sentant les années de plus en plus pesantes. Rancé désira se démettre de sa charge d’abbé et voir de ses yeux son successeur ; Louis XIV s’y prêta. On nomma Dom Zozime, qu’il avait désigné, et qui mourut après quelques mois (1696). Son second choix fut malheureux. Dom Gervaise faillit tout perdre ; Saint-Simon nous a