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BÉRANGER.

d’une distinction ancienne, au lieu de nous chanter comme plus tard : Je suis vilain et très-vilain. La mère de Béranger, qui fut surtout douce et jolie, paraît n’avoir eu dans l’organisation et les destinées de ce fils unique que la part la moins active, contre l’ordinaire de la loi si fréquemment vérifiée, qui veut que les fils de génie tiennent étroitement de leur mère : témoin Hugo et Lamartine. C’est donc plutôt à ses grands parents paternels et maternels que Béranger se rattache directement, peut-être pour la ressemblance morale originelle (cela s’est vu maintes fois), à coup sûr pour l’impulsion et les principes qu’il en reçut. Il resta à Paris, rue Montorgueil, chez son grand-père le tailleur, jusqu’à l’âge de neuf ans, très-aimé, très-gâté, se promenant, jouant, n’étudiant pas. Présent au 14 juillet, il en a célébré le palpitant souvenir en 1829, sous les barreaux de la Force, après quarante années. La révolution continuant, il quitta Paris pour Péronne, où il fut confié à une tante paternelle, qui tenait là une espèce d’auberge. Cette respectable femme, encore existante et aujourd’hui octogénaire, est pour quelque chose dans une gloire qu’elle a préparée et dont elle apprécie la grandeur. C’est chez elle et sous ses yeux que l’enfant, jusque-là ignorant, lut le Télémaque et des volumes de Racine et de Voltaire qu’elle avait dans sa bibliothèque. Elle y joignait d’excellents avertissements de morale, à l’appui desquels la dévotion n’était pas oubliée : le jeune Béranger fit sa première communion à onze ans et demi. Nous devons avouer pourtant que, dès cette époque, le génie libre et malin de l’enfant