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BOILEAU[1]



Depuis plus d’un siècle que Boileau est mort, de longues et continuelles querelles se sont élevées à son sujet. Tandis que la postérité acceptait, avec des acclamations unanimes, la gloire des Corneille, des Molière, des Racine, des La Fontaine, on discutait sans cesse, on revisait avec une singulière rigueur les titres de Boileau au génie poétique ; et il n’a guère tenu à Fontenelle, à d’Alembert, à Helvétius, à Condillac, à Marmontel, et par instants à Voltaire lui-même, que cette grande renommée classique ne fût entamée. On sait le

  1. Cet article fut le premier du premier numéro de la Revue de Paris qui naissait (avril 1829) ; il parut sous la rubrique assez légère de Littérature ancienne, que le spirituel directeur (M. Véron) avait pris sur lui d’ajouter. Grand scandale dans un certain camp ! Quoi ? ces modèles toujours présents, venir les ranger parmi les anciens ! Quinze ans après, M. Cousin, à propos de Pascal, posait en principe, au sein de l’Académie, qu’il était temps de traiter les auteurs du siècle de Louis  XIV comme des anciens ; et l’Académie applaudissait. — Il est vrai que dans ce second temps et depuis qu’on est entré méthodiquement dans cette voie, on s’est mis à appliquer aux œuvres du xviie siècle tous les procédés de la critique comme l’entendaient les anciens grammairiens. On s’est attaché à fixer le texte de chaque auteur ; on en a dressé des lexiques. Je ne blâme pas ces soins ; bien loin de là, je les honore, et j’en profite ; le moment en était venu sans doute ; mais l’opiniâtreté du labeur, chez ceux qui s’y livrent, remplace trop souvent la vivacité de l’impression littéraire, et tient lieu du goût. On creuse, on pioche à fond chaque coin et recoin du xviie siècle. Est-on arrivé, pour cela, à le sentir, à le goûter avec plus de justesse ou de délicatesse qu’auparavant ?