Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/127

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tracée d’elle madame de La Fayette, combien Madame et son royal beau-frère s’étaient aimés dans cette nuance aimable qui laisse la limite confuse et qui prête surtout au rêve, à la poésie. L’adorable princesse qui put dire à son lit de mort à Monsieur : Je ne vous ai jamais manqué, aimait pourtant à se jouer dans les mille trames gracieuses qui se compliquaient autour d’elle, et à s’enchanter du récit de ce qu’elle inspirait. Racine, un peu plus que Corneille sans doute, dut pénétrer dans ses arrière-pensées ; il est permis pourtant de croire que ce que nous savons aujourd’hui assez au net par les révélations posthumes était beaucoup plus recouvert dans le moment même, et qu’en acceptant le sujet d’une si belle main, le poëte ne sut pas au juste combien l’intention tenait au cœur. Ses allusions, à lui, paraissent s’être plutôt reportées au souvenir déjà éloigné de Marie de Mancini, laquelle, dix années auparavant, avait pu dire au jeune roi à la veille de la rupture : Ah ! Sire, vous êtes roi ; vous pleurez ! et je pars !

Vous êtes empereur, Seigneur, et vous pleurez !
Vous êtes empereur, Seigneur, et vous
Vous êtes Vous m’aimez, vous me le soutenez :
Et cependant je pars ! et vous me l’ordonnez !

Il y avait dans le rapport général des situations, dans une rupture également motivée sur les devoirs souverains et sur l’inviolable majesté du rang, assez de points de ressemblance pour captiver à l’antique histoire une cour si spirituelle, si empressée, et avant tout idolâtre de son roi. Mais d’autres lueurs, d’autres reflets rapides et non pas les moins touchants, venaient en quelque sorte se jouer à la traverse. Lorsqu’en effet on représenta, en novembre 1670, la pièce désirée et inspirée par Madame, cette princesse si chère à tous n’existait plus depuis quelques mois ; Madame était morte ! Or qu’on veuille songer à tout ce qu’ajoutait son souvenir à l’œuvre où sa pensée était entrée pour une si grande part.