Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/18

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cielle, mais d’un mélange habilement fondu, originale dans son imitation, et belle encore au déclin de la société dont elle décorait la ruine. Le drame mis à part, on peut considérer Malherbe et Boileau comme les auteurs officiels et en titre du mouvement poétique qui se produisit durant les deux derniers siècles, aux sommités et à la surface de la société française. Ils se distinguent tous les deux par une forte dose d’esprit critique et par une opposition sans pitié contre leurs devanciers immédiats. Malherbe est inexorable pour Ronsard, Des Portes et leurs disciples, comme Boileau le fut pour Colletet, Ménage, Chapelain, Benserade, Scudery. Cette rigueur, surtout celle de Boileau, peut souvent s’appeler du nom d’équité ; pourtant, même quand ils ont raison, Malherbe et Boileau ne l’ont jamais qu’à la manière un peu vulgaire du bon sens, c’est-à-dire sans portée, sans principes, avec des vues incomplètes, insuffisantes. Ce sont des médecins empiriques ; ils s’attaquent à des vices réels, mais extérieurs, à des symptômes d’une poésie déjà corrompue au fond ; et, pour la régénérer, ils ne remontent pas au cœur du mal. Parce que Ronsard et Des Portes, Scudery et Chapelain leur paraissent détestables, ils en concluent qu’il n’y a de vrai goût, de poésie véritable, que chez les anciens ; ils négligent, ils ignorent, ils suppriment tout net les grands rénovateurs de l’art au moyen-âge ; ils en jugent à l’aveugle par quelques pointes de Pétrarque, par quelques concetti du Tasse auxquels s’étaient attachés les beaux esprits du temps d’Henri III et de Louis XIII. Et lorsque dans leurs idées de réforme, ils ont décidé de revenir à l’antiquité grecque et romaine, toujours fidèles à cette logique incomplète du bon sens qui n’ose pousser au bout des choses, ils se tiennent aux Romains de préférence aux Grecs ; et le siècle d’Auguste leur présente au premier aspect le type absolu du beau. Au reste, ces incertitudes et ces inconséquences étaient inévitables en un siècle épisodique, sous un règne en quelque sorte accidentel, et qui ne plongeait profondément ni dans le passé ni dans l’avenir. Alors