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imitant les anciens, il a l’air souvent d’avoir senti avant eux, souvent, lorsqu’il n’a l’air que de les imiter, il a réellement observé lui-même. On sait le joli fragment :

Fille du vieux pasteur, qui, d’une main agile,
Le soir remplis de lait trente vases d’argile.
Crains la génisse pourpre, au farouche regard…

Eh bien ! au bas de ces huit vers bucoliques, on lit sur le manuscrit : VU et fait à Catillon près Forges le 4 août 1792 et écrit à Gournay le lendemain. Ainsi le poète se rafraîchissait aux images de la nature, à la veille du 10 août[1].

Deux fragments d’idylles, publiés dans l’édition de 1833, se peuvent compléter heureusement, à l’aide de quelques lignes de prose qu’on avait négligées ; je les rétablis ici dans leur ensemble.

LES COLOMBES.

Deux belles s’étaient baisées… Le poëte berger, témoin jaloux de leurs caresses, chante ainsi :

« Que les deux beaux oiseaux, les colombes fidèles,
Se baisent. Pour s’aimer les Dieux les firent belles.
Sous leur tête mobile, un cou blanc, délicat,
Se plie, et de la neige effacerait l’éclat.
Leur voix est pure et tendre, et leur âme innocente,
Leurs yeux doux et sereins, leur bouche caressante.
L’une a dit à sa sœur : — Ma sœur…

(Ma sœur, en un tel lieu croissent l’orge et le millet…)

L’autour et l’oiseleur, ennemis de nos jours,
De ce réduit peut-être ignorent les détours ;
Viens…

  1. On se plaît à ces moindres détails sur les grands poëtes aimés. Ala fin de l’idylle intitulée la Liberté, entre le chevrier et le berger, on lit sur le manuscrit : Commencée le vendredi au soir 10, et finie le dimanche au soir 12 mars 1787. La pièce a un peu plus de cent cinquante vers. On a là une juste mesure de la verve d’exécution d’An-