Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/213

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Voilà pour les préliminaires ; mais le principal, ce qui devrait former le corps même de l’édition désirée, ce qui, par la difficulté d’exécution, la fera, je le crains, longtemps attendre, je veux dire le commentaire courant qui y serait nécessaire, l’indication complète des diverses et multiples imitations, qui donc l’exécutera ? L’érudition, le goût d’un Boissonade, n’y seraient pas de trop, et de plus il y aurait besoin, pour animer et dorer la scholie, de tout ce jeune amour moderne que nous avons porté à André. On ne se figure pas jusqu’où André a poussé l’imitation, l’a compliquée, l’a condensée ; il a dit dans une belle épître :

Un juge sourcilleux, épiant mes ouvrages,
Tout à coup, à grands cris, dénonce vingt passages
Traduits de tel auteur qu’il nomme ; et, les trouvant,
Il s’admire et se plaît de se voir si savant.
Que ne vient-il vers moi ? Je lui ferai connaître
Mille de mes larcins qu’il ignore peut-être.
Mon doigt sur mon manteau lui dévoile à l’instant
La couture invisible et qui va serpentant,
Pour joindre à mon étoffe une pourpre étrangère…

Eh bien ! en consultant les manuscrits, nous avons été vers lui, et lui-même nous a étonné par la quantité de ces industrieuses coutures qu’il nous a révélées çà et là : junctura callidus acri. Quand il n’a l’air que de traduire un morceau d’Euripide sur Médée :

Au sang de ses enfants, de vengeance égarée,
Une mère plongea sa main dénaturée, etc.,

il se souvient d’Ennius, de Phèdre, qui ont imité ce morceau ; il se souvient des vers de Virgile (églogue VIII), qu’il a, dit-il, autrefois traduits étant au collége. À tout moment, chez lui, on rencontre ainsi de ces réminiscences à triple fond, de ces imitations à triple suture. Son Bacchus, Viens, ô divin Bacchus, ô jeune Thyonée ! est un composé du Bacchus des Métamorphoses, de celui des Noces de Thétis et de Pélée ; le Silène de