Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/222

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sur des routes poudreuses, ces villas sévères et mélancoliques dans la noirceur de leurs pins et de leurs cyprès. La Rome moderne ne remplit pas son attente ; son goût simple et pur repoussait les colifichets : « Décidément, écrivait-il, je ne suis pas fort émerveillé de Saint-Pierre, ni du pape, ni des cardinaux, ni des cérémonies de la Semaine sainte, celle de la bénédiction de Pâques exceptée. » De plus, il ne trouvait pas là assez d’agréable mêlé à l’imposant antique pour qu’on en pût faire un séjour de prédilection. Mais Naples, Naples, à la bonne heure ! Non pas la ville même, trop souvent les chaleurs y accablent, et les gens y révoltent : « Quel peuple abandonné dans ses allures, dans ses paroles, dans ses mœurs ! Il y a là une atmosphère de volupté grossière qui relâcherait les cœurs les plus forts. Ceux qui viennent en Italie pour refaire leur santé doivent porter leurs projets de sagesse ailleurs[1]. » Mais le golfe, la mer, les îles, c’était bien là pour lui le pays enchanté où l’on demeure et où l’on oublie. Combien de fois, sur ce rivage admirable, appuyé contre une colonne, et la vague se brisant amoureusement à ses pieds, il dut ressentir, durant des heures entières, ce charme indicible, cet attiédissement voluptueux, cette transformation éthérée de tout son être, si divinement décrite par Chateaubriand au cinquième livre des Martyrs ! Ischia, qu’a chantée Lamartine, fut encore le lieu qu’il préféra entre tous ces lieux. Il s’y établit, et y passa la saison des chaleurs. La solitude, la poésie, l’amitié, un peu d’amour sans doute, y remplirent ses loisirs. M. Colin, jeune peintre français, d’un caractère aimable et facile, d’un talent bien vif et bien franc, se trouvait à Ischia en même temps que Farcy ; tous deux se convinrent et s’aimèrent. Chaque matin, l’un allait à ses

  1. Quam Romanus Quam Romanus honos el Graeca licentia miscet,
    a dit Stace de Naples : la dernière partie du vers se vérifie à Naples, mais il n’y a plus trace de ce qu’indique la première. Le miscet règne ; c’est l’honos qui n’est pas resté.