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d’Auteuil et qu’il vint mourir, en 1711, au cloître Notre-Dame, chez le chanoine Lenoir, son confesseur. Le principal motif fut la piété sans doute, comme le dit le Nécrologe de Port-Royal ; mais l’économie y entra aussi pour quelque chose, car il ne haïssait pas l’argent[1]. La vieillesse du poëte historiographe ne fut pas moins triste et morose que celle du Monarque.

On doit maintenant, ce nous semble, comprendre notre opinion sur Boileau. Ce n’est pas du tout un poëte, si l’on réserve ce titre aux êtres fortement doués d’imagination et d’âme : son Lutrin toutefois nous révèle un talent capable d’invention, et surtout des beautés pittoresques de détail. Boileau, selon nous, est un esprit sensé et fin, poli et mordant, peu fécond ; d’une agréable brusquerie ; religieux observateur du vrai goût ; bon écrivain en vers ; d’une correction savante, d’un enjouement ingénieux ; l’oracle de la cour et des lettrés d’alors ; tel qu’il fallait pour plaire à la fois à Patru et à M. de Bussy, à M. Daguesseau et à madame de Sévigné, à M. Arnauld et à madame de Maintenon, pour imposer aux jeunes courtisans, pour agréer aux vieux, pour être estimé de tous honnête homme et d’un mérite solide. C’est le poète-auteur, sachant converser et vivre[2], mais véridique, irascible à l’idée du faux, prenant feu pour le juste, et arrivant quelquefois par sentiment d’équité littéraire à une sorte d’attendrissement

  1. Cizeron-Rival, d’après Brossette, Récréations littéraires.
  2. Voir l’agréable conversation entre Despréaux, Racine, M. Daguesseau, l’abbé Renaudot, etc., etc., écrite par Valincour et publiée par Adry, à la fin de son édition de la Princesse de Clèves (1807). – Le fait est que Boileau, de bonne heure en possession du sceptre, passa la très-grande moitié de sa vie à converser et à tenir tête à tout venant : « Il est heureux comme un roi (écrivait Racine, 1698), dans sa solitude ou plutôt son hôtellerie d’Auteuil. Je l’appelle ainsi, parce qu’il n’y a point de jour où il n’y ait quelque nouvel écot, et souvent deux ou trois qui ne se connoissent pas trop les uns les autres. Il est heureux de s’accommoder ainsi de tout le monde ; pour moi, j’aurois cent fois vendu la maison. » Ce qui pourtant explique qu’à la fin Boileau, devenu morose, l’ait vendue.